Pierre Serandour, surnommé Pier an Dall (Pierre l’aveugle) ou Dall Korle (l’aveugle de Corlay), né en 1832 est le plus ancien joueur de clarinette connu de la tradition centre-bretonne. Sa notoriété le fit connaître dans nombre de fêtes et mariages pendant plus de 40 ans, et à plus de 50 km autour de Kermusique, sa demeure du Haut-Corlay. Fut-il le modèle qui incita nombre de jeunes musiciens à devenir sonneur ? Les enquêtes successives nous ont permis de répertorier plus de 200 sonneurs de clarinette de tradition depuis 1850 jusqu’aux années 1970.
Ainsi, jusqu’à une époque récente, la clarinette surnommée « tronc de chou » en pays gallo et « treujenn-gaol » (trognon de chou) en pays bretonnant était l’instrument emblématique des fêtes et mariages sur les terroirs du Mené et de Loudéac, en Haute-Cornouaille (terroirs Fañch, Fisel, Monts d’Aré) et en Trégor dans la région de Plestin les Grèves. Les musiciens jouent essentiellement « de routine », c’est-à-dire sans utiliser le codage écrit pour exercer leur art.
La clarinette était jouée seule, accompagnée d’un tambour, ou encore en couple. Dans le jeu en couple, les deux musiciens se répondent en utilisant le tuilage à la manière des chanteurs de tradition (kan ha diskan). En répétition, ils utilisent le registre grave de l’instrument ; et en situation, c’est le registre aigu, et à pleine puissance.
Beaucoup des sonneurs des anciennes générations utilisent les instruments anciens à 13 clés. Ils se conforment à un doigté progressif diatonique, éventuellement bloquent le double anneau du corps du bas et pratiquent une embouchure plutôt relachée: il en résulte une échelle musicale de tempérament inégal qui participe largement au timbre spécifique de la clarinette bretonne.
La clarinette était surtout la musique des mariages et avait son répertoire spécifique : tonioù eured tonioù hent (airs de noce, air de route), les airs de circonstance (ton Kenavo, boked eured, soubenn laezh) et les airs de danse. Ces airs de danse comprennent, suivant les terroirs, le répertoire du fond ancien : Plinn, Fisel, Gavotte, Ronde, Dañs Treger. S’y sont ajoutées les danses de répertoire plus récent : polkas, mazurkas, scottische, valse.
A la fin des années 60, seule une poignée de sonneurs de clarinette exerçaient leur art pour leur public convaincu : Iwan Thomas, Francise Provos, la famille Guégan,… Dès les années 1980, une équipe de jeunes musiciens, bientôt réunis dans l’association Paotred An Dreujenn-Gaol (PDG) œuvre pour la réhabilitation de la tradition : recherche historiques (Michel Colleu de Ar Men et Christian Morvan), collecte de photos, enregistrements de musiciens, conservation des documents, édition de l’album « Sonneurs de Clarinette en Bretagne », réalisation d’une exposition itinérante, organisation de stages, organisation d’évènements. Ces mêmes musiciens « iront voir ailleurs » et inviteront des clarinettistes traditionnels du monde entier pour la Rencontre Internationale de la Clarinette Populaire.
Aujourd’hui, la clarinette traditionnelle a retrouvé sa légitimité dans l’éventail des musiques bretonnes : couple de clarinettes, duo avec accordéon, ensembles musicaux, bagadoù. Elle a conquis des terroirs où elle n’était pas implantée. Elle se nourrit de la rencontre avec d’autres traditions de clarinettes. Elle se frotte à d’autres esthétiques : classique, musiques improvisées…